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Construction sans permis et condamnation pénale à démolir : en pratique ?

Monsieur B, durant les années 2000, a réalisé une extension de son habitation sans permis de construire. Pour ces faits constitutifs d’un délit pénal, Monsieur B a été condamné par le Tribunal correctionnel de Lille à démolir l’extension irrégulièrement construite. En 2003, Monsieur B a vendu son habitation, sans avoir procédé à la démolition de son extension. Le nouveau propriétaire s’est également abstenu d’effectuer cette démolition et n’a pas non plus sollicité la régularisation des travaux.


Monsieur C, voisin de la construction, a alors sollicité, tant le Maire de la commune de Seclin que le Préfet du Nord, à fin de démolition de l’extension litigieuse en application de l’article L.480-9 du code de l’urbanisme. Faute d’actions municipale et préfectorale, Monsieur C a alors saisi le juge administratif d’un recours indemnitaire contre l’Etat, tant sur le fondement de la responsabilité pour faute que sur celui de la responsabilité sans faute, motif pris de la carence étatique dans l’exécution du jugement du Tribunal Correctionnel de Lille.


Cette demande indemnitaire a fait l’objet d’un jugement de rejet du 13 juillet 2015 par le Tribunal administratif de Lille, confirmé par un arrêt du 14 octobre 2016 de la Cour administrative d’appel de Douai. Le Conseil d’Etat a finalement rejeté le pourvoi de Monsieur C dans un arrêt du 13 mars 2019 aux motifs particulièrement intéressants mais aux conséquences pratiques beaucoup plus discutables.


Plusieurs questions sont en effet réglées par la Haute juridiction administrative: De quelle force contraignante est dotée un jugement correctionnel portant démolition d’une construction litigieuse ? L’autorité administrative a-t-elle compétence liée pour procéder à la démolition d’une construction ordonnée par le juge pénal ? La responsabilité de l’autorité administrative peut-elle être engagée pour ne pas avoir assuré une démolition ordonnée par le juge pénal ?


A la lecture de l’arrêt du Conseil d’Etat, force est de constater que l’exécution d’une condamnation pénale en matière de permis de construire repose finalement sur la bonne volonté, tant du condamné que de l’autorité administrative. En effet, si le condamné refuse de démolir la construction illégalement implantée ou de solliciter un permis de construire modificatif, rien ne peut l’y contraindre personnellement du point de vue du droit pénal ou administratif. Un voisin peut alors solliciter l’autorité administrative, sur le fondement de l’article L.480-9 du code de l’urbanisme, afin d’exécuter d’office les travaux « aux frais et risques du bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l'utilisation irrégulière du sol ». L’administration dispose en effet, en vertu de cet article, du privilège de l’exécution forcée.


Le Conseil d’Etat écarte toute compétence liée du maire ou de l’autorité administrative compétente quant à la démolition forcée de la construction illégale. La Haute juridiction énonce en effet que : « il appartient au maire ou au fonctionnaire compétent, de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers, sous la réserve mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 480-9 du code, de faire procéder d'office à tous travaux nécessaires à l'exécution de cette décision de justice, sauf si des motifs tenant à la sauvegarde de l'ordre ou de la sécurité publics justifient un refus ». L’autorité administrative dispose d’un certain pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité de procéder à l’exécution forcée d’une condamnation pénale en démolition.


De même, le Conseil d’Etat juge que la condamnation pénale ne lie pas l’autorité administrative destinataire d’une demande de régularisation d’une construction dont la démolition a été ordonnée. La condamnation pénale n’impose donc pas à l’autorité administrative de refuser la régularisation de la construction. L’autorité administrative conserve ici son entier pouvoir d’appréciation même si le Conseil d’Etat fixe les critères auxquels elle doit se référer dans le cadre de l’examen de la demande d’autorisation de régularisation :

«Lorsqu’elle est saisie d'une demande d'autorisation d'urbanisme visant à régulariser les travaux dont la démolition, la mise en conformité ou la remise en état a été ordonnée par le juge pénal, l'autorité compétente n'est pas tenue de la rejeter et il lui appartient d'apprécier l'opportunité de délivrer une telle autorisation de régularisation, compte tenu de la nature et de la gravité de l'infraction relevée par le juge pénal, des caractéristiques du projet soumis à son examen et des règles d'urbanisme applicables ».


Le refus de l’autorité administrative d’exécuter d’office la démolition d’une construction illégale suite à une condamnation pénale n’est toutefois pas sans conséquence. En effet, la personne qui estime subir un préjudice du fait de l’absence de démolition de la construction illégale est en droit de saisir le juge administratif d’une requête indemnitaire.


Le Conseil d’Etat fait dans ce cas preuve d’une ouverture certaine puisqu’il juge que la responsabilité de l’autorité administrative peut être engagé tant sur le fondement de la responsabilité sans faute que sur celui de la responsabilité fautive. L’appréciation de la faute se matérialise ici en considération du caractère légal ou illégal du refus opposé à une demande de démolition.

« Dans le cas où, sans motif légal, l'administration refuse de faire procéder d'office aux travaux nécessaires à l'exécution de la décision du juge pénal, sa responsabilité pour faute peut être poursuivie. En cas de refus légal, et donc en l'absence de toute faute de l'administration, la responsabilité sans faute de l'Etat peut être recherchée, sur le fondement du principe d'égalité devant les charges publiques, par un tiers qui se prévaut d'un préjudice revêtant un caractère grave et spécial ».


Bien entendu, les critères correspondants respectivement à chaque type de responsabilité doivent être respectés :

  1. Pour faute : Faute, préjudice, lien de causalité ;

  2. Sans faute : Fait générateur, préjudice suffisamment grave et spécial, lien de causalité.


Dans le cas d’espèce, le Conseil d’Etat n’est pas explicite quant au fondement de responsabilité retenue mais il écarte la demande indemnitaire fondée sur divers causes, tantôt pour absence de préjudice et lien de causalité, tantôt pour absence de préjudice suffisamment grave et spécial et absence de lien de causalité.


En résumé :

  1. Un jugement correctionnel n’a finalement aucun pouvoir contraignant sur la démolition effective d’une extension construite illégalement car le juge pénal est dessaisi dans l’exécution au profit de l’autorité administrative par le biais de l’article L.480-9 du code de justice administrative,

  2. La condamnation pénale ne lie absolument pas l’administration qui dispose d’un pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité ou non d’appliquer l’article L.480-9 du code de l’urbanisme,

  3. Si la responsabilité pour faute ou sans faute de l’administration ne faisant pas usage de l’article L.480-9 du code de l’urbanisme peut être recherchée, l’indemnisation d’un tiers subissant un préjudice est loin d’être acquise,

  4. En l’absence de tiers subissant un préjudice du fait de la construction litigieuse, la condamnation pénale et les pouvoirs issus de l’article L.480-9 du code de l’urbanisme sont sans conséquence en cas d’inapplication.


En conclusion, l’articulation juridique administrative de l’arrêt est fort intéressante mais, en pratique, force est de constater que si une personne est condamnée par un Tribunal correctionnel à démolir une extension illégale mais n’en tient absolument pas compte et que l’autorité administrative n’entend pas faire usage de son pouvoir d’exécution forcée, cela n’a que peu de conséquences et finalement peu d’importance si l’on s’en tient à la voie administrative.


Une solution pourrait alors éventuellement être pour le voisin tiers, d’engager la responsabilité de la personne condamnée (voir éventuellement du nouveau propriétaire) devant le juge civil et d’obtenir une injonction de démolir sous astreinte mais là encore, le voisin devra justifier des critères classiques de responsabilité civile.


Référence : CE, 13 mars 2019, req. n° 408123


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